Elle tomba, la gamine.
Elle trébucha vulgairement après qu’il l'eût poussée, puis s’étala à quatre pattes dans le duvet neigeux, sans un bruit ; sans l’ombre d’un râle, sans une pointe de douleur. Un silence approprié, un tableau parfait. Il l’imaginait peiner à conserver une allure fière, à étrangler ses pleurs et refouler ses larmes. Alphaeus eut un sourire satisfait, presque heureux. Il réprima un rire naissant tandis qu’elle s’échinait à se relever dignement. La seule chose qu’il regrettait, c’était de ne pas voir son air effronté se briser ; de ne pas lire l’affolement dans ses yeux ingénus chargés de dédain. Elle avait beau se montrer plus fière qu’un pou, personne ne s’y trompait : elle était chétive, faiblarde, si risible lorsqu’elle montrait les crocs. Alphaeus, toute colère l’avait abandonné. Ne restait plus qu’un humour amer, un sadisme froid, calculé.
Leurs regards se croisèrent lorsqu’elle se redressa, une lueur de défi dans ses prunelles chocolat à laquelle il répondit par un air moqueur, ne boudant pas son plaisir. Pour un peu, il l’aurait poussée à nouveau juste pour la voir se vautrer dans la neige encore, juste pour voir son corps aussi frêle qu’un fétu de paille perdre l’équilibre et se rattraper de façon drôlesque; il était persuadé qu’il n’aurait pu s’en lasser, même en y passant la journée entière. Quoi qu’il en soit il ne le fit pas, parce qu’il aurait détesté l’entendre geindre. Il la préférait ainsi : insolente, impérieuse, quand bien même ça ne l’impressionnait point.
▬ Sa majesté est ravie de faire ce chemin avec vous, Monsieur Vail, vous pouvez en être fier et reconnaissant. Êtes vous mon chaperon, ou mon geôlier ? J'ai l'impression d'être accompagnée à la potence et non-pas à ma demeure. Quels sont les chefs d'accusation ? Elle gloussa, lui jetant un regard en coin pour voir sa réaction.
Elle manquait pas d’air, la gamine, pour s’octroyer le luxe d’ironiser à nouveau. Il cligna des yeux un moment, accusant le coup de sa réplique, car il ne la pensait pas rattaquer si vite de front. Était-elle suicidaire ? Cette fois-ci, il eut un rire fade, faux. Finalement, elle et sa voix geignarde lui avaient vite fait passer toute envie de rire. Il posa une main sur son dos et exerça une pression légère, juste suffisante pour qu’elle la sente à travers l’épaisse fourrure de son vêtement. Il n’était pas question de la voir s’effondrer ici ; juste de lui rappeler qu’il avait l’ascendant physique et moral.
▬ Avance. Sa voix claqua dans l’air frais, sévère, ne souffrant d’aucune contestation. Tandis qu’il marqua un silence, ils se mirent à avancer lentement. Les plus fieffés inquisiteurs seraient d’avis que, entre ne pas respecter les préceptes et les moeurs que nous inculque notre Père à tous et se vouer à des rites païens, il n’existe qu’un pas. Mais moi, je ne suis qu’un mercenaire de l’inquisition. Une pièce rapportée… n’est-ce pas ? Il la força à se retourner, et lui lança un regard ambigu dans lequel on ne pouvait discerner s’il prenait sa défense - en quelque sorte - ou non. Un sourire malsain éclaira son visage blafard. Là où d’autres t’auraient déjà fait brûler, moi je te laisse le bénéfice du doute. Il déplia son index et vint toucher le bout de son nez, comme on joue avec sa nièce préférée. Il la détestait. Il se détourna d’elle et repris la route, l’invitant à le suivre. Et puis... lança t-il innocemment, accuser sans preuves une bourgeoise ? Non! Le village serait en colère. Je peux bien faire cramer des innocents, tant qu’ils sont pauvres. Mais les riches ? Aah… remercie ton père d’être vivante! Sans son trésor, certains t’auraient déjà rôti ! Il rit de bon coeur, satisfait de sa plaisanterie. Mais derrière un ton délibérément léger couvaient ses avertissements.
Sois prudente, semblait-il dire. Sois prudente ou je te tue.