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Allégeances et jeux de croyances [PV Samuel Drake]

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Jézabelle Davis
Jézabelle Davis


Août 1690

You’re closer to what you think you’re running from, maybe, you have a shitty compass




On se demande, dans le foyer, qu’est-ce qui pousse Mme Davis à s’activer depuis l’aurore – on se le demande du bout des lèvres, avec les yeux, interdits, en portant des draps propres aux placards ou les marinades de la cuisine au caveau. Ce matin, la plus vieille des domestiques a même frôlé l’infarctus lorsque Jézabelle s’est assise près d’elle pour aider à repriser des chemises. La maîtresse n’a pas dit « j’ai besoin de m’occuper », mais son silence passif l’expliquait. Vers midi, lorsqu’elle se prépara (seule) à sortir, on compris qu’elle avait reçu une invitation. Mme Davis sait se montrer assez discrète, surtout chez elle, mais ses domestiques savent reconnaître sa fébrilité, même lorsque diluée dans une tenue exemplaire.

« Ça vous fera du bien de sortir, madame. » que commente Eugénie avec une joie sincère. Puis elle s’en mord les joues et ses mains ralentissent sur les boutons de la mante de loup – dans la maison, tout le monde sait aussi que les commentaires de tout genre, même le plus anodin, peut faire basculer l’humeur terrifiante de Jézabelle. Jour gris, mais jour de chance. L’Anglaise baisse les yeux et l’ombre d’un rictus fuit sur ses lèvres pleines : « Oui. »

Eugénie inspire, émotive. Elle veut demander où, qui, quoi, mais prend cette petite victoire comme le plus grand des honneurs. Sa gentille naïveté se combine au caractère manipulateur de sa maîtresse car, tout compte fait, Mme Davis est redoutable en ce qui attrait aux impressions de proximité. Elle sait créer le privilège et le retirer d’un même geste – pour ceux qui désire sa considération, cela créer une dépendance empreinte de déceptions et d’espoirs idiots. N’en a-t-elle pas d’ailleurs usé avec sa belle-fille… ?

« Je me rend chez Monsieur Drake, qui m’invite pour le thé. »

La vieille servante passe dans le salon avec, justement, des tasses vides ; elle pousse un drôle de hoquet, comme si elle venait de voir un fantôme, et la vaisselle se fracasse sur le plancher de bois.

« Bon sang !
- Pardon, madame… »

Eugénie court aider son aînée avec un air rêveur. Elle se dit sûrement que Monsieur Drake est un bel homme, ou toutes autres pensées jeunes comme celles-ci, tandis que la plus vieille lui lance un regard lourd de reproches, voyons, ignare... Le soupire agacé de Jézabelle remplit la pièce avant qu’elle n’en sorte – sur le pas de la porte, elle demande si son cheval est scellé, ce par quoi on lui répond d'un simple mouvement de tête. L’Anglaise trouve ce comportement trop curieux pour s’en offusquer ; elle s’éloigne juste, un léger trouble dans les pupilles.


On dirait qu’il pleut, mais seulement dans les hauteurs ; les nuages ressemblent davantage à de longues traînées de brouillard. Les cendres de la purge peuvent-elles encore y être en suspension ? Celles de grands volcans font bien mourir les cultures, alors… Les sabots de l’hongre foulent les feuilles rouges tombées sur la terre battue, un automne trop hâtif, ou bien c’est autre chose. Ce que Jézabelle sait, c’est qu’elle n’apprécie plus les balades – depuis quelques semaines, sa vie semble se résumer à parcourir des distances entre point A et point B avec une angoisse grandissante, et bientôt, même les murs des maisons, des églises ou des marchés ne suffisent plus à lui redonner ce sentiment de sécurité. La pestilence s’immisce partout, jusque dans les poumons des villageois, dans leur sang, et qui sait encore, peut-être verra-t-elle bientôt des fous hurler au milieu de la place public lorsque la moisissure aura atteint la tête.

La maison des Drake trône dans l’espace comme un énième rempart affaiblit. Mme Davis met pied à terre et guide sa monture, simplement pour se dégourdir les cuisses, et peut-être même retarder la rencontre ; une envie soudaine, comme ça, comme on ne se les explique pas toujours. L’Anglaise fait tomber sa capuche et passe deux doigts sur son front pour replacer une mèche d’or qui s’est échappée – le cuir froid de son gant contre sa tempe lui redonne de l’aplomb. Et lorsqu’elle est tout près de la demeure, son port altier et son visage fin ne semblent témoigner de rien d’autre qu’une habitude des lieux, ou de toute autre aisance supérieure.
17.08.17 15:45
Samuel Drake
Samuel Drake
Sous les doigts fins de Samuel craquelèrent les feuilles desséchées du vieux rosier. Le vert s’était terni en un grisâtre maladif, aussi sombre que la fumée des bûchers qu’on avait encore élevés pour des sorcières. Le feuillage s’émietta dans sa main, sombra vers les abysses du sol, aussi pourri que l’air ambiant qui les empoisonnait chaque jour un peu plus. La pourpre sombre autrefois éclatante des pétales s’était altérée aussi et il ne restait de ce vestige planté par la grand-mère de Samuel Drake, que quelques fleurs flétries et les épines étrangement disproportionnées, acérées, comme si la vie s’était rétractée le plus loin possible et se hérissait de défenses comme elle pouvait. Le vieux dragon secoua doucement la tête d’un air dépité, navré de ce jardin qui prenait des allures de cimetière. Il ne manquait que le spectre de la grand-mère Drake, revenant les hanter pour les punir de l’état abominable des extérieurs de cette maison qui avait toujours fait la fierté de la famille.

Plus loin, Martha se relevait bredouille des quelques légumineuses qu’elle tentait vainement de faire parvenir à maturation, un air contrarié plaqué sur le visage. Qu’y pouvait-elle, de toute manière… « Je ne comprends pas, monsieur, même mes prières semblent totalement inefficaces, et je ne parle même pas des soins prodigués qui d’habitude font des miracles. » D’un geste de la main résigné, Samuel répliqua : « Ce n’est pas votre faute, Martha. Regardez le reste de la ville… Ne baissez pas les bras, nous trouverons une solution. » « Dieu vous entende et nous vienne en aide. » Le regard d’acier du Drake ne cilla pas. A elle seule, Martha priait suffisamment pour toute une famille trop occupée à honorer le diable en pauvres âmes. « Rentrez donc préparer le thé, il sera bientôt l’heure. » Il se retrouva seul au milieu du jardin mourant, avec cette unique certitude que la moindre prière envers qui que ce soit ne leur serait aucunement d’une grande aide pour faire face à cette désolation qui s’abattait sur la colonie.

Le regard perdu vers les brumes qui recouvraient les hauteurs alentours et qui semblaient se refermer sur Warwick Bay comme un étau, l’esprit du père Drake vagabonda quelques peu avant d’être rappelé à la réalité par les percussions de sabots approchant de la demeure. Un léger sourire flotta un instant sur ses lèvres minces, et d’un bon pas, le sorcier fit le tour de la maison pour apercevoir au-devant, le hongre et la cavalière le pied à terre. Puisque ce monde n’avait plus rien d’agréable à offrir à la nature, restait encore l’art de la conversation et les débats intellectuels sur la philosophie et la littérature. Et en cela, madame Davis était une personne tout à fait exquise. La tentation était d’ailleurs souvent grande de mener quelque échange pour faire passer le temps long des prêches du dimanche. Il la rejoignit devant l’allée aux pavés recouverts de ces feuilles rouges au présage équivoque, pour accueillir la jeune femme avec un sourire de circonstance. « Madame Davis, c’est toujours un plaisir de vous rencontrer. Je suis fort aise de vous recevoir pour le thé. », dit-il en la saluant d’un baisemain. A cet instant, un palefrenier sortit de la cour arrière pour s’occuper de la monture de la dame.

L’œil perçant du Drake observa un instant Jézabelle, son port de tête altier et l’aisance arrogante qui émanait de la bourgeoise. S’il y avait bien une personne qui savait qu’on ne pouvait ne fier aux apparences, c’était bien Samuel, mais que pourrait bien cacher une dame de la trempe de la veuve Davis ? Cela ne le regardait en rien et pourtant l’envoyé du démon avait un grave défaut : la curiosité. « Je vous prie de pardonner l’état déplorable de cette entrée. Ne tardons guère à l’extérieur, voulez-vous ? », articula-t-il d’un ton mielleux avant de l’inviter à entrer.
13.09.17 12:47
Jézabelle Davis
Jézabelle Davis
HRP:

La Sawkins a toujours eu de l’intuition – lorsqu’elle était enfant, elle savait déjà que de toute cette flopée de frères et sœurs, elle serait celle qui se serait sorti de la fange longtemps avant que les autres ne commencent même à se hisser le menton hors de la merde d’où ils étaient tous nés. Lorsqu’elle était adolescente, elle savait avoir des racines dans la tête ; en regardant son cousin la présenter aux autres comme une docile colombe, il lui venait à l’esprit des images magnifiquement obscènes du jeune homme comme elle aurait aimé le voir, à cet instant, une gorge ouverte, peut-être, les yeux révulsés et les tempes enflées à force d’avoir lutté alors qu’elle lui aurait ouvert le cou avec ses ongles comme avec des griffes de chat sauvage.

Et comme elle se sait mauvaise, et qu’elle sait le monde plus mauvais encore, alors Jézabelle n’a jamais cessé d’affûter cette intuition comme on affûte une lame – elle la garde sur elle, soigneusement rangé dans son étui, oubliant de la dégainer lorsqu’elle sent que ses talents de bretteuse ne sauront lui venir en aide ; car soyons franc, tous les combats ne se remportent pas de la même manière. Un bon stratège sait manier ses atouts. Un excellent sait les diversifier.

Aussi l’anglaise oublia son intuition chaque fois qu’elle regarda sa belle-fille, préférant, pour sa Jalousie et elle-même, la croire l’envoyée d’une bête des Enfers. Aujourd’hui, Jézabelle abandonne son fourreau de la même façon ; son besoin de compagnie – la solitude assomme aussi sûrement que la maladie – passe avant son besoin de connaître l’homme qui marche bientôt vers elle. Un solécisme de la pensée qui s’apparente plus à de la nécessité qu’à de la paresse.

« Madame Davis, c’est toujours un plaisir de vous rencontrer. Je suis fort aise de vous recevoir pour le thé. » qu’on lui fait, tout miel, un sourire, un baisemain. Jézabelle se prêtre à la chorégraphie, laissant ses doigts gantés galamment pris entre ceux de son hôte et un rictus amène fleurir sur ses lèvres. D’un geste, elle laisse la bride de sa monture partir entre d’autres mains, et d’un autre, elle soutient le regard perçant du Drake – car oui, cela s’accompagne d’un mouvement on ne peut plus discret du menton, qu’elle relève, tandis que la fourrure chamarrée de la mante fait frissonner ses reflets cendrés.

« Je vous prie de pardonner l’état déplorable de cette entrée. Ne tardons guère à l’extérieur, voulez-vous ? »

Suivant une danse que son corps connaît par la force de l'habitude, la Sawkins emboîte le pas à son aîné en balayant vaguement le vide du revers de la main, signe que rien ne l’importune – en voilà un, de beau mensonge. De toute façon, Jézabelle maîtrise l’art de paraître à l’aise dans les situations les plus inconfortables et même, maîtrise celui de se croire à l’aise. C’est un exercice fastidieux mais, étant donné d’où elle vient, et Dieu sait qu’elle vient de très loin, ce fut à la fois imposé et d’une aide précieuse.

L’intérieur de la demeure des Drake semble peut-être plus chaleureux, ne serait-ce que par le mobilier, ou par ces murs cachant tout ce rouge envahissant les arbres et le sol au-dehors. Pourtant, il n’y fait pas nécessairement moins frisquet. Il semblerait que toutes les cloisons de la maison soient percées de barbacanes invisibles laissant filtrer une fraîcheur désagréable. Mme Davis mise sur l’indifférence : celle face à la température et celle face à ses propres os, se départissant de son manteau par politesse et par nécessité de démontrer un confort immédiat dans un environnement inconnu. Sans même y réfléchir spécifiquement, Jézabelle garde ces gestes anodins, intégrés à sa routine et à son inconscient, qui font d’elle une femme redoutable sur bien des aspects. À quiconque, et en tout temps, la Sawkins n’oublie pas de démontrer quelle genre d’alliée ou d’adversaire elle saurait devenir.

« Samuel… »

Elle tourne le visage, sur son épaule, regarde au sol avant de relever les yeux, prise dans son ballet bien rodée. Là, avec ce prénom et cette familiarité qu’on ne saurait trop mesurer, elle pourrait donner l’impression que cette maison est la sienne et son propriétaire, un invité. Tempo. Elle sourit de nouveau, un peu plus que précédemment, un peu moins que bientôt : « J’apprécie réellement cette délicate attention que vous avez eu de m’inviter, la faim qui sévit nous donne à tous quelques pensées délétères ces temps-ci. »

Changement de pied. L’anglaise laisse sa mante reposer sur le dossier d’un fauteuil où elle omet de s’assoir pour l’instant, se dirigeant plutôt vers la fenêtre par laquelle elle observe le jardin mourant dans la cour arrière. Le sucre de son miel se tarit légèrement, juste ce qu’il faut pour laisser dans sa voix plus d’ondes tièdes que d’ondes chaudes.

« Étrange que cette famine, n’est-ce pas… L’Angleterre en a connu une semblable, c’était à la fin des années 40, je crois*. Je n’étais pas née. » Elle scrute l’horizon, tout près, qui se dresse aux premiers troncs des grands pins formant une ligne serrée. « On m’a dit que les gens avaient si faim qu’ils faisaient cuir les semelles de leurs chaussures pour ensuite en boire le bouillon. Une de mes tantes a bouffé de la terre jusqu’à s’en rendre malade, et deux de mes oncles sont mort après s’être empiffrés de baies qu’ils pensaient comestibles à cause des oiseaux. »

La Sawkins retire lentement ses gants, la voix imprégnée dans l’anodin mais les gestes, eux, beaucoup trop calculés pour ne pas laisser transparaître des réflexions plus analytiques sous son discours bénin. Elle quitte la fenêtre, se déplace vers le fauteuil. Son regard va, un instant, capter celui du Drake. « J’ai un cousin qui est mort au fil de l’épée, après avoir tenté de voler du bétail à des dragons anglais. Une cousine décédée dans un bordel ; elle y était venue dans l’espoir qu’on la nourrisse. Elle était enceinte. »

Mme Davis s’arrête et porte son attention sur une domestique qui, bien qu’ayant fait une entrée des plus discrètes, n’a su se soustraire à la vigilance de l’anglaise. La théière fume sur son plateau, elle s’excuse. Jézabelle semble tomber dans une intense contemplation et, s’adressant toujours à son hôte, elle darde ses pupilles sur les gestes empressés de la domestique qui place, sert et verse le thé…

« Là où je veux en venir, Monsieur Drake… c’est que les gens sont nombreux à s’attarder sur les causes de cette pénurie mais qu’il faut… - elle relève enfin la tête, s’arrête, sourit magnifiquement – plutôt en regarder les conséquences, ne croyez-vous pas ? »

La domestique semble désapprouver, dans le silence toujours, cette miscellanée de sous-entendus, de comportements et de pensées dépolarisées qui font l’apanage de la Sawkins. Cela fait peut-être trop arachnide. Tant mieux. Mme Davis ne propose pas la zététique comme hors-d’œuvre parce que cela lui plait de chasser des fantômes de Savoir qui leur échappe tous. C’est la pensée cartésienne qui veut ça. Jézabelle prend place dans le fauteuil, croise les jambes, dépose ses gants sur ses cuisses et les lisse doucement. Puis elle vient poser ce quelque chose de glacé au fond de ses prunelles sur la jeune femme qui, la bouilloire toujours à la main, se risque encore à tenter de l’observer discrètement. Si on ne peut douter du niveau d’éducation de Mme Davis, ou de son statut social, rien n’empêche de se questionner sur ses activités charnelles ; c’est qu’elle est grande et belle femme, cette veuve, lascive parfois, mais elle sait, en un battement de cil, métamorphoser toute cette sensualité en pierre – lourde, alors, sa voix questionne soudain.

« Peut-être mademoiselle préférerait-elle répondre à votre place ? »

La servante lève un visage désemparé, avec du silence consterné comme seule amie. L’hétaïre qu’elle voyait alors devant elle prend des aspects de chimère bien dressée, alors que Jézabelle se barricade derrière une expression des plus courtoises.

* Famine dans le Nord de l'Angleterre, 1949
15.09.17 5:54
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