Cessez donc de vous voiler la face et de raisonner en enfant capricieuse. D’où croyez-vous tenir vos pouvoirs, si différents de vos cousins ? Si l’âme est le réceptacle de la personnalité, ne saurait-elle être liée à la magie que vous utilisez ?
Et la colère remonte, pointe son nez à une vitesse alarmante. C'est plus que la haine cette fois, c'est rage dans les yeux d'Alera. Furibonde, la gitane abat violemment son poing sur la table de bois déjà fissurée, son regard rougeoyant du feu infernal alors qu'elle s'écrit, s'époumonant d'une voix presque gutturale, brisé par le mépris.
« Et qui joue avec la vie des gens ?! Qui a ruiné notre libre arbitre ?! C'est VOUS les enfants capricieux ! MONSTRES d’égoïsme que vous êtes! »Et elle se lève la gitane, force d'avoir à passer ses nerfs, mais pas sur Samuel. Ce serait un acte de guerre ouverte, ce serait catastrophique. Son teint pâle se cendre peu à peu, la sorcière se pare d'une allure effrayante, ses paupières s'assombrissent et ses lèvres se parent de cette teinte parme prononcée. Elle aurait presque pu paraître agréable cette vision, si elle n'avait pas le goût amer de la noirceur. Aleera se détourne de la table, de son frère et de son hôte, faisant les cent pas dans la pièce, cherche à juguler sa haine et sa soudaine envie de meurtre.
Je ne vous demande pas d’oublier, ni même de pardonner. Voilà bien longtemps que je suis au-dessus de ce que peuvent bien penser les gens à propos de ma famille. Vous parlez d’humanité, mais pour vous, qu’est-ce donc ? Le simple fait de posséder une âme, d’éprouver des émotions ? Ou bien de tenter d’être aussi saint qu’un ange en se débattant avec ses faiblesses .
« L'humanité, c'est avoir le choix. Le choix de ce qui est bien, de ce qui mal. C'est mener sa vie comme on l'entend... Sans cette âme dont nous sommes privés, c'est un aller simple pour l'enfant. Vous ignorez tout de l'effort que cela demande, d'être ce que nous sommes. »Aleera continue de marcher, bouillant de colère dans sa robe au corsage trop serré. Elle soupir, serre les dents alors que ses yeux restent de cette vive couleur irréelle. Un regard en biais vers Duncan, elle sait que son frère ne supporte pas de la voir ainsi, ne serait-ce que pour le danger qu'elle représente. Pour lui, pour Samuel et pour toute personne présente dans cette demeure. Et pour elle-même également.
Qu’importe, après tout, puisqu’une partie de mon humanité s’est envolée quand Victoria est partie. Au moins, en cela, nous sommes presque quittes. Quant à l’autre…
« Ne confondez pas votre chagrin avec la perte d'humanité. Vous ne savez rien de cela... Quant à votre femme, elle a eu ce qu'elle méritait, elle comme toutes les matriarches qui l'ont précédé dans votre lignée. »Vous auriez sans doute du mal à comprendre la peur, la colère, le désarroi et l’amour qui peut animer un père pour protéger ses enfants et les épauler, les guider jusqu’à ce vers quoi ils tendent à devenir.
Aleera cesse soudainement ses bas et viens. La gitane s'est figé alors que son souffle s'effrite soudainement, son regard s'éteint pour retrouver ce gris mêlé d'une azure particulièrement clair. Samuel juge, sans savoir. C'est sans doute cela qui la rend plus triste qu'en colère.
« Non, c'est vous qui ne comprenez pas... Notre père est mort sous nos yeux... il était juste là et l'instant après, il est juste... il s'est écroulé, comme une poupée de chiffon. Je n'avais même pas cinq ans... Et j'ai été forcé de voir ça. Je n'avais même pas cinq ans, que j'ai pris conscience de ce que j'étais... De ce que mes frères étaient... Rien. Nous ne sommes rien parce que des gens comme vous et votre lignée avez décidé que nous ne serions rien. »
Oh, j’imagine qu’à présent, vous allez vous faire un devoir de les tuer, eux aussi, juste pour connaître la joie de me priver de mon âme. Au moins, vous pourrez être fiers de votre vengeance. C’est très humain après tout… même si elle ne résout rien.
Le regard larmoyant de la sorcière se darde sur le patriarche assit à la table, toujours droit sur son siège, toujours digne avec son port altier. Un rire passe soudainement ses lèvres, un rire gras, amusé. Il se change en fou rire même. Aleera est hilare autant que désespéré par les paroles du Drake.
« Les tuer ? Oui, nous commencerons pas votre fille. En vous privant de votre petite princesse et de votre nouvelle matriarche, peut-être que vous comprendrez un peu plus la douleur que nous éprouvons. »Lentement la jeune femme s'approche du bout de la table, posant les mains sur le bois alors qu'elle s'y appuie dans une position nonchalante. Malgré le sourire mauvais qui a fleuri sur ses lèvres, ses larmes roulent sur l'ivoire de ses joues.
Je ne vous demande pas votre amitié, ni une paix définitive. Seulement un cessez-le-feu temporaire, parce que plutôt que de me bercer d’illusions en attendant ma fin, je préfère agir au mieux pour mettre les miens en sureté. Et vous devriez peut-être faire de même, parce que je doute fortement que la rumeur d’un wendigo qui se promène ne se propage pas à grande vitesse jusqu’à des oreilles qui seraient capables de nous envoyer de pires ennuis encore.
« Le wendigo, hein... ? Avouez simplement que le déclin de votre famille vous effraie... »La sorcière détourne le regard, posant doucement son séant sur la chaise près d'elle. L'épuisement se lit sur son visage austère, c'est même dans son maintien que la fatigue se lit. Les négociations n'avaient jamais été son fort, Aleera était du genre élan punitif et expéditif avant toute chose.
« Je suis néanmoins surprise de votre démarche monsieur Drake... C'est fort surprenant... Vous avez toute mon attention. Mais gare à vous et à vos paroles, je crains de ne pas supporter la moindre insulte de plus à l'égard des miens. »Susurre-t-elle, menace à peine voilée. Son regard glisse sur Duncan, lui qui a sû rester calme et silencieux depuis son arrivée dans cette sinistre demeure puritaine qui cachait le diable en son cœur.
« Et toi, mon frère, que penses-tu un traité de paix ? Si l'idée me semble complètement farfelue, je dois admettre qu'elle est plaisante. Notre salut réside peut-être ici, après tout... »