“Le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l'athéisme philosophique.”
Voltaire
Malgré que ce soit lui qui ait demandé l’entrevue, l’individu ne semblait guère enchanté de se retrouver en tête à tête avec l’inquisiteur tandis qu’Alphaeus, lui, comprit qu’il n’avait rien à craindre de ce freluquet. Ils s’observèrent un moment, le premier avec défiance et le second avec impétuosité, jusqu’à ce que le servant ait la hardiesse de lui livrer son récit. C’était jouer avec les nerfs d’un homme peu patient que de le faire ainsi attendre, et lorsqu’il prit la parole Alpha soupira de reconnaissance. Un peu plus et il aurait été forcé de le brusquer pour qu’il crache ses aveux, parce que même un sourd aurait déballé plus vite que ça. Quoi qu’il en soit, il écouta d’une oreille attentive le discours effréné de l’hurluberlu, car maintenant qu’il était lancé, il débitait si vite sa supplique qu’il fallait se concentrer pour en comprendre la teneur. Il hochait la tête par moments, en écho aux affirmations du jeune homme.
La bête. Le monstre. L’ignominie de la forêt. La rumeur circulait depuis bien des jours maintenant, et les racontars à son sujet allaient bon train. Etonnamment, Alphaeus ne s’était pas encore lancé à sa poursuite. L’on aurait pu croire que son désir de protéger Warwick Bay de tout danger ésotérique l’aurait poussé à traquer sans relâche l’horreur mangeuse d’hommes qui se terrait dans les bois, mais il n’en était rien pour moultes raisons. La première, c’est qu’il avait d’autres chats à fouetter au village ; les actions à caractère étrange s’étaient multipliées ces derniers temps, et il ne savait plus où donner de la tête. La seconde, c’est qu’il n’était pas suicidaire ; aller au devant d’un si grand danger sans plus d’informations concrètes ne l’enchantait guère. Et enfin, la troisième, c’est que ce qui l’intéressait plutôt, c’était le marionnettiste qui manipulait les fils de la bête dans l’ombre, et qu’il savait que s’il tuait le monstre, ils ne pourraient jamais remonter jusqu’au sorcier.
Nonobstant, les informations pourvues par celui qui - comme il l’apprendrait plus tard - se prénommait Adam lui furent précieuses. D’abord, parce que la
chose était plus proche du village qu’on le disait, et qu’il était grand temps de s’en inquiéter, avant qu’elle ne déboule un beau matin en plein milieu du village et y fasse un carnage. Ensuite, parce qu’il apportait une preuve tangible de l’existence du monstre, de son apparence, ainsi que de son mode opératoire. Ce qu’il ne comprenait pas cependant…
« - Pourquoi n’en avisez-vous que moi, et dans le plus grand secret ? Pourquoi ne pas en informer le village tout entier, pour qu’une battue de grande envergure soit organisée, et que les meilleurs tireurs s’allient pour descendre la bête ? » Suspicieux, l’inquisiteur contourna Adam.
« - Protégez-vous quelqu’un ? » il voulut savoir finalement, car c’était la conclusion la plus logique qui s’imposait à lui.
« - Si vous tenez à ce que je vous aide, je vous conseille vivement d’être honnête. » il siffla, serpent en toute occasion.