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Je présente humblement mes excuses pour cet énorme retard. J'essaierai de faire en sorte que ça ne e reproduise plus. En espérant que ça te plaira !
Tendu, le vieillard se contente de hausser les épaules à l'évocation du Boiteux. « Edward ». La promiscuité de sa jeune sœur avec ce Blanc le fait frissonner. Il n'y parviendrait jamais. Infirme ou pas, cet homme ne sera pas balancé dans la fosse pour y pourrir à l'air libre, dévoré par les vers. Il aura une jolie croix à côté du temple, et les regrets de quelques hypocrites. Il en sera de même pour cette vieille morue de Rosamund Bartlett. Personne ne sera là pour pleurer les affranchis ; leur existence est une provocation – leur mort suscitera au mieux l'indifférence. Le handicap du Boiteux le rend d'autant plus inoffensif. Pour les maîtres blancs, les noirs sont des sauvages sans morale qu'il faut dresser. D'aucuns lui ont même lancé qu'il pourrait les remercier de l'avoir arraché à sa condition de bête.
« Je ne sais pas comment tu fais pour traiter avec eux. Leurs simples regards lourds de sous-entendus me dégoûtent. Tu sais, tu devrais en empoisonner un de temps à autre. Avec un poison lent et vicieux. Le genre qui tue à petit feu, ils croiront à une maladie ! »Un sourire narquois soulève sa moustache grisonnante. Sa vieille poitrine dissimulée sous un amas de tissus est secouée d'un rire guttural. D'un autre côté, le fait qu'elle évoque directement le poison l'inquiète un peu.
« C'est mon travail, et j'aime mon travail. J'sais pas si je pourrais tromper ce bon vieux docteur Rice, en plus. Et puis, tu sais... Je suis un vieux bougon inoffensif, mais j'ai de la ressource. »Il en faut pour dévier le triple retour vers un autre. Esquisser les lignes d'une vengeance parfaite. Et lorsque tout sera découvert, Whisper sera déjà en train de pourrir dans la fosse. Les envoyés de Dieu ne pourront rien y faire : les Bartlett auront déjà été effacés. Annihilés par un sorcier sans merci, un peu plus malin que les autres. Désormais, son unique mission est de veiller sur les siens. Bander la main du tueur pour tendre celle du père. Chérir la loyauté des siens, afin de partir en paix. Whisper ne marquera pas l'histoire – il s'en doute. On s'en souviendra peut-être comme un Patriarche calme, pacifiste, résolument dévoué. Le chef de guerre en lui a abdiqué. La ferveur vengeresse de Sonja lui paraîtrait presque étrangère ; en même temps, il ne la connaît que trop bien.
Le vieil homme partage la joie de sa comparse lorsqu'ils trouvent une réserve de mousse tant espérée. Le lichen foisonne sur l'écorce froide durcie par l'hiver. Sous leurs pas, la neige craquelle et s'accroche à leurs semelles, dans un mélange crasseux de vase et de feuilles mortes. L'odeur de la nature trempée et les cris de la forêt l'apaisent. La main de Whisper s'agrippe plus fermement à son bâton. Qui sait si cette traîtresse de sylve ne le fera pas tomber : il ne donnerait pas cher de ses vieux os, malgré tout le soin qu'il leur prodigue. Il serait presque en trop bonne santé pour un homme de son âge.
« Tu as raison, il y a de quoi faire quelques réserves sans dénuder tous les arbres. Je veux bien en apprendre plus, Sonja. Ça fait un bout de temps que je n'ai pas vu les Mohawks. Je les aime bien, mais leur village est un peu loin pour moi maintenant. »Une manière comme une autre d'évaluer la largeur des connaissances de Sonja. Il s'empresse de poser sa hutte puis de sortir de sa veste un couteau à deux manches pour tailler la mousse. Concentré sur son ouvrage, l'aïeul ajoute :
« Cela m'étonne que tu parles aussi librement de poison. J'en conclue que tu n'es pas étrangère à ce genre de pratiques, Sonja. »
Sa voix se fait grondement, tel un torrent giflant les rochers. Pendant un instant, les oiseaux se sont tus, comme endormis.
Attentifs.
Qu'as-t-elle l'intention de faire ?