Pas grand monde à soigner, qu’elle dit. Soit la chance a protégé les volontaires, soit la mort les a débarrassés des plus faibles. Il n’arrive pas à sourire lorsque Sonja se réjouit de la mort de ces Blancs : celle de ses alliés natifs éprouve trop ses pensées. Wendigo. La bête ne voit pas les couleurs, comme elle ne voit pas la douleur : elle dévore, démembre, arrache. La description de la Bête lui inspire quelques hochements de tête évasifs. Il rumine dans sa moustache quelques « Mmh, mmh » désabusés. Lui non plus ne craint plus la mort. Il héberge un cadavre ambulant – ou l’inverse – et se rapproche de son heure. Il attend, en bon vieillard, que les dieux viennent le cueillir. Qu’il se repose enfin de ces souffrances.
Whisper frémit un peu pourtant quand elle lui parle de son tête-à-tête. Comment a-t-elle fait pour survivre à l’échange ? Qu’a pensé le Wendigo en approchant la jeune affranchie ? Peut-on encore penser, lorsque la sauvagerie écrase à ce point la conscience ? Ou alors…
« Tu es au courant... que la chose cherche son enfant ? »
Brusquement, ses prunelles sombres se lèvent vers elle. Son palpitant s’affole à l’annonce de ce détail.
« Tu as bien dit… son enfant ? »
Le bokor croise les bras, sourcils froncés. Un enfant. Le Wendigo a un enfant – chose banale. Et « elle » – comme Sonja l’a appelée – s’en souvient. Elle le cherche.
« Si cette bête, comme tu dis, cherche son enfant… Ça veut dire que tout n’est pas perdu. Que nous ne sommes pas obligés de la tuer. Ça veut dire qu’il reste une parcelle d’humanité en elle, et cette parcelle, c’est son enfant… »
Si sa carcasse tend à le trahir, sa cervelle ne lui a pas encore fait défaut. Les rouages dans sa tête s’actionnent, crissent, roulent. Les pensées s’entremêlent pour engendrer des dilemmes.
« Si cette chose a encore un grain d’humanité dans la caboche, il me paraît juste de la traiter en tant que telle. Tuer la bête, pas la personne. Qu’en dis-tu ? »
18.05.17 23:44