Malgré la gueule de bois, les menaces, le sarcasme, l'humour décapant, la mauvaise haleine, l'impression qu'il va passer une sale journée, le teint blême et le jour à peine levé, Felix garde la tête aussi haute qu'il le peut. La montagne, c'est vrai. Un excursion en quel honneur ? Aucune idée. Le matelot reste cramponné à la selle de sa monture, soufflant profondément pour que l'air frais apaise l'acidité de son estomac. Foutue vie, j'vous jure.
La montagne. Super.
Il pourra à peine voir le fleuve de là où ils vont, et c'est le pire. La mer lui manque déjà alors qu'ils ne sont pas encore parti. Le sarcasme pointe à ses oreilles, fouette sa nuque tandis que le froid pique ses joues de rouge. Il renâcle, remonte le chaperon de sa cape sur ses boucles de jais dans son cou, le resserre par devant pour créer un col chaud, enfouit son nez dans la fourrure qui le tiendra hors d'atteinte des températures de Mars. Ufh, non, surement pas. Il empeste l'alcool et sa propre haleine le rend de nouveau nauséeux ; tant pis pour le froid, il va devoir se trouver un baume pour ses lèvres gercées en revenant à la colonie, lèvres qu'il mordille déjà de nerfs. Un coup de hanche fait démarrer la monture, au pas, au coude-à-coude avec celle de Duncan. Franchement, Duncan. Quelle idée.
Il allait rétorquer que, lui Monsieur, il a vécu dans des conditions que même un gaillard comme Duncan ne pourrait s'imaginer, ça oui ! Il a échappé aux gangrènes, aux fièvres ravageuses, aux caprices de la mer, du ciel, des deux à la fois, aux pirates, aux malfrats, aux combats, aux tires de balle ! Felix, c'est Monsieur Chance, et ce n'est pas un retour d'ivresse qui lui fera abandonner son poste, ça non ! Malheureusement, le gitan démarre au galop, et le cheval du matelot n'attend même pas que son cavalier lui donne un ordre pour suivre la monture. En une foulée, les voilà parti, Felix cramponné au pommeau, assit dans sa selle pour s'éviter d'être ballotté de tous les côtés. Les rênes dans une main, lâchées, il tire parfois dessus pour ralentir l'allure de sa bête, histoire qu'elle ne fasse pas la course avec celle du gitan.
▬ Bordel de- Jure-t-il, les dents serrées, pour se retenir de mourir sur place. La vivacité de la course lui colle des nausées à n'en plus finir, et il a beau respirer aussi profondément que l'allure le lui permet, il sent que son estomac hurle à l'agression. Aussi, alors qu'ils pénètrent la forêt, s'enfoncent de plus en plus profondément entre les arbres, le bouclé ne résiste que cinq petites minutes de plus. Il freine brusquement la course, saute de sa selle et retombe sur ses pieds, titubant, la mâchoire serrée sur ses dents qu'il fait nerveusement grincer. Bordel, bordel, bordel. Pourtant, il la connait la rengaine, suffit de faire tout sortir un coup et ça va mieux. Mais non, l'italien se refuse de perdre ainsi la face devant le sorcier. Merde, à la fin. Détachant la panse de la selle, il boit à grande gorgées. Fouillant ses affaires, il jette un regard haineux à Duncan. Et en même temps, il ne peut pas le maudire, c'est lui qui a fait l'erreur de forcer sur la bouteille. Un petit morceau de pain, il le coince entre ses dents, accroche la gourde à la selle avant de remonter dessus, de grignoter un peu. Faut éponger tout ça, sinon j'm'en sortirais jamais. Pense-t-il à haute voix, plus pour lui-même que pour Duncan. Un regard en coin à ce dernier ; c'est une façon pour lui de s'assurer qu'il ne rendra rien à la nature. Il s'en voudrait de gâcher ainsi de l'eau et du pain, ce serait terrible. Aussi, cette fois, il décide de l'allure qu'ils empruntent, et donne un léger coup de reins pour intimer à sa monture le pas. De toute façon, il veut parler, ça lui tiendra l'esprit occupé. Pourquoi tu veux aller en montagne, rappelle-moi ? Questionne-t-il, comme une vraie question, pas forcément pour meubler. Qu'il sache au moins s'il va se perdre dans la montagne par pure lubie du sorcier ou s'il y a un réel but derrière tout ça.