Fidèle à son détachement détestable, Aleera y va de sa petite remarque morbide concernant l'absence de Roxanna. Duncan se contente de froncer les sourcils sans relever. Il préfère imaginer l'herboriste au sein de la colonie, chez des proches ou des amis. Il apaise sa conscience par cette vision, alors que sa sœur l'entraîne près du feu en continuant de discuter de cette maudite bête avec Adam.
Il constate sans s'inquiéter que la gitane s'est renseignée sur la créature, probablement motivée par la cause après la blessure de Dimitri. Duncan n'a pas oublié s'être promis d'en découdre avec la bête maléfique, et il n'apprécie clairement pas de se sentir à nouveau menacé par elle. En plus, alors qu'il fixe pensivement le feu qui le réchauffe, Aleera fait mention de deux enfants victimes du Wendigo. Duncan relève la tête, soudainement attentif. Le meurtre d'un enfant, il n'y a rien de plus inhumain. Les Belkhan sont tout particulièrement sensibles au sujet, puisque c'est une affaire semblable qui avait été à l'origine de leur mésentente avec la lignée Drake.
Adam répond calmement, en donnant les derniers détails et en proposant quelques suggestions. Dimitri n'apprécierait pas qu'ils se livrent si rapidement à un rituel sans réfléchir aux conséquences, mais le temps manque - comme toujours. D'autant plus que le petit bouclé révèle qu'un des enfants semble être encore en vie.
"Je vais faire passer le mot pour que le camp soit prêt à se défendre à l'aube." Le gitan n'est clairement pas disposé à faire confiance aux Indiens pour supposer que le Wendigo n'attaquera pas. Le risque est trop grand. Et puis il se tourne vers Aleera, spécialiste de la question :
"Vois si tu peux trouver un rituel pour affaiblir le Wendigo..." Il hésite un instant, et poursuit d'une voix plus douce, parce qu'il ne veut pas que sa sœur se blâme en cas d'échec.
"...ou retrouver le gamin." Décidé à ne pas s'attarder davantage, Duncan se relève, jette à nouveau son manteau sur ses épaules, et déclare brièvement :
"Je reviens vite pour vous aider." Il a du mal à retenir l'anxiété dans sa voix. Le souvenir douloureux de son frère entre la vie et la mort le rend plus que nerveux. L'idée de laisser encore sa sœur derrière lui ne le rassure pas davantage.
Le sorcier ne prend pas le temps de discuter, ni de remercier Adam. Il ne prendra le temps de le faire qu'une fois l'aube passée, quand ils seront tous encore en vie grâce à lui.
***
Lorsque la porte se referme derrière lui, Duncan a l'air grave. Le camp est endormi, bercé dans l'insouciance du sommeil. Sans le courage d'Adam pour venir jusqu'ici, qui sait combien d'entre eux ne se seraient pas réveillés à l'aube ? Le gitan décide de chasser cette sombre pensée de son esprit, et de saisir la chance que le petit bouclé leur a donné. Il faut être prêts avant le lever du soleil !
Alors le gitan traverse le camp d'un pas rapide. Il s'arrête à la première porte qui croise son chemin, et tambourine sans ménagement. La porte met un certain temps à s'ouvrir timidement, et le sorcier lit immédiatement la méfiance profonde dans le regard de son interlocuteur. Être porteur d'une aussi funeste nouvelle ne l'aide pas à convaincre la famille du danger imminent. Ils s'imaginent peut-être que la malédiction qui pèse sur sa famille a fini par le rendre fou. Les pauvres n'ont pas conscience que ce sont eux, les fous, à retourner dans leurs lits sans s'inquiéter des promesses du démon de la forêt.
Finalement, ils sont peu nombreux, les gitans qui acceptent de croire à son histoire. Ils monteront probablement la garde toute la nuit devant leur porte, la peur au ventre, accrochés à leurs gri-gri protecteurs. Les plus avisés s'armeront de lames d'argent et se barricaderont avec du bois de sorbier. Mais une chose est sûre, ils seront peu à survivre au massacre, si il a bel et bien lieu.
Duncan est fou de rage, d'être ainsi ignoré. Il bouillonne, refusant de livrer autant d'innocents à un aussi triste sort. Pourtant, il ne peut pas protéger le camp seul. Et plus il s'obstine et s'impatiente, en se montrant parfois même menaçant, et plus les portes se ferment à son nez et se verrouillent. Décidément non, personne ne fera confiance à un Belkhan maudit cette nuit.
C'est finalement les gitans eux-même qui le forcent à lâcher prise, et résolu, il finit par faire demi-tour pour retourner d'un pas décidé chez lui. S'il y a bien des gens qu'il est certain de pouvoir protéger, c'est sa sœur et son frère. Se battre pour les siens, voilà une chose qu'il pourrait faire sans lassitude. Il donnera d'ailleurs sa vie à l'aube pour le faire s'il le faut.
Il a du mal à décolérer sur le chemin. Et quand il pousse à nouveau la porte de chez lui, il espère qu'au moins une bonne nouvelle l'attend - que cette nuit ne se résume pas à ce seul échec.
"C'était une perte de temps. Ce camp est rempli d'abrutis prêts à mourir pour dormir quelques heures de plus." Duncan tonne, d'une part parce qu'il sera d'autant plus aisé pour le Wendigo d'attaquer un campement à découvert, et d'autre part parce que Duncan avait toujours tenu le sommeil en très basse estime, considérant qu'il s'agissait à chaque fois d'une perte de temps immense. Et puis comme il sent qu'il risque de s'énerver encore, il ne laisse pas le temps aux deux autres de l'interroger, et les devance :
Vous avez trouvé quelque chose ?"